Villa de Lily

Le taxi s’arrêta devant la grille d’une luxueuse propriété. Le chauffeur descendit du véhicule en même temps que Lily et alla ouvrir le coffre.

-Voilà ma p’tite dame, vous êtes arrivée. C’est une bien belle maison que vous avez là dites-moi.

Mais Lily ne l’écoutait déjà plus. Elle était absorbée par la vue qui s’offrait à elle. Qu’allait-elle faire toute seule dans une si grande villa ? À cet instant, elle mesurait pleinement l’étendue de la richesse dont elle avait hérité. Le chauffeur déposa son sac de voyage et sa guitare à côté d’elle et prit congé avant de se réinstaller au volant de son taxi et de démarrer.

Lily fouilla dans son sac à main et en sortit un trousseau de clés que maître Bardon à Paris lui avait confié. Elle ramassa ses bagages et s’avança vers la grille en fer forgé peinte en blanc. Elle chercha sur le trousseau quelle clé correspondait à cette serrure. En essaya une longue qui semblait convenir… oui elle tournait. Le déclic du verrou se fit entendre et elle poussa la grille avant de la refermer derrière elle.

Elle longea une allée bordée de divers arbres et plantes exotiques dont elle ne connaissait pas la moitié et qu’elle se contenta de ranger dans la catégorie des palmiers. Elle arriva devant une grande porte en bois massif, peinte en blanc également, et se mit à nouveau à la recherche de la bonne clé. Elle pénétra alors dans sa nouvelle demeure. Elle déposa ses sacs à l’entrée pour se donner le temps de visiter rapidement.

Le hall d’entrée débouchait sur une vaste salle dont les portes fenêtres au bout donnaient sur la terrasse.


Elle se dirigea dans cette direction et sortit pour se trouver au bord d’une large piscine. La terrasse étant surélevée par rapport à la plage, le bassin donnait l’impression d’être dans le prolongement de la mer.



Lily longea le bord jusqu’au bout de la terrasse. De part et d’autre du bassin, des escaliers descendaient directement sur la plage. Elle emprunta celui qui se trouvait de son côté et fit quelques pas sur le sable avant de se retourner pour avoir une vue d’ensemble de sa nouvelle demeure.



En contemplant son nouveau « chez elle », elle était partagée entre un sentiment de réussite sociale en comparaison de la chambre de bonne qu’elle occupait à Paris, et un étrange détachement par rapport à ce qu’elle possédait. Finalement ça restait une maison et elle se sentait quelque peu ridicule de vivre seule dans un si grand espace. Elle regagna la terrasse et retourna à l’intérieur pour visiter le reste.

Elle fit rapidement le tour du rez-de-chaussée pour découvrir notamment la cuisine et un petit salon.


Elle passa ensuite à l’étage. Il y avait là plusieurs chambres équipées chacune d’une salle de bain. Elle se serait crue à l’hôtel. Elle en choisit une, délaissant les autres. Peut-être les transformerait-elle.



Une fois sa brève visite terminée, elle redescendit récupérer ses bagages qu’elle avait laissés dans le hall et regagnant sa nouvelle chambre entreprit de les défaire.

Plan de la maison

Voilà une semaine que Lily avait pris possession de la maison. Elle avait pris l’habitude de commencer la journée par un peu de musique avant de s’attaquer au rangement et à l’aménagement à sa façon de sa nouvelle demeure.

Après le petit déjeuner, elle passait toujours sur la terrasse et descendait sur la plage avec sa guitare pour jouer face à la mer. Elle restait là une heure ou deux environ, à jouer et composer de nouvelles mélodies. Quand le soleil commençait à taper trop fort pour rester assise sur place, elle retournait à l’intérieur, posait sa guitare et s’occupait de son installation.

Le rangement de ses affaires avait été rapide. Le jour de son arrivée, elle avait rangé le contenu de sa valise dans les armoires de sa chambre et la malle contenant le reste n’avait pas encore été livrée. Puis elle avait entrepris de débarrasser la maison des affaires personnelles de son grand-père et dont elle n’aurait pas l’utilité. Elle s’était procuré des cartons et avait passé ses après-midi à les remplir. Ensuite il avait fallu vider la cave. Là encore plusieurs après-midi de tri avaient été nécessaires.

Aujourd’hui enfin elle allait pouvoir s’attaquer à la partie la plus plaisante de son entreprise. Des affaires de son grand-père, il ne restait que les meubles. Elle avait viré le reste et avait également débarrassé de leur mobilier une partie des nombreuses chambres. En plus de la sienne, elle n’en avait gardé que deux autres. Elle ne voyait pas l’utilité d’en avoir plus et voulait transformer les pièces. Elle allait commencer par celle qu’elle appellerait la salle de musique.

Il s’agissait d’une vaste pièce au rez-de-chaussée qui avait un mur mitoyen avec le salon. Les murs étaient blancs, et elle voulait ajouter dessus quelques fioritures : elle envisageait de peindre ici et là des portées et autres symboles de musiques pour accorder la décoration murale à la fonction de la pièce. Elle s’était procuré de la peinture noire et avait bâché le sol, elle était prête à attaquer.



Elle y passa l’après midi. Quand elle eut donné le dernier coup de pinceau, elle se recula pour admirer le résultat. Ça correspondait à ce qu’elle voulait. Elle ferma le pot de peinture et nettoya ses pinceaux avant d’aller prendre une douche. Elle mit ses vêtements de bricolage de côté et les troqua pour une tenue un peu plus féminine mais tout de même confortable.

La soirée s’annonçait douce. Sa douche terminée, elle décida d’aller faire quelques pas sur la plage pour jeter un œil aux alentours. Elle n’avait pas encore pris la peine de visiter.

En revenant du bar de la plage, Lily s’était préparé un plateau repas avant d’aller s’installer devant la télé. La programmation ne proposant rien d’intéressant, elle était allée se coucher assez tôt. Elle se réveilla donc de bonne heure le lendemain matin.

Elle descendit à la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Elle prépara à nouveau un plateau et alla s’installer sur la terrasse pour manger. La température était déjà clémente en ce début de matinée. Elle remonta ensuite dans sa chambre et passa dans la salle de bain pour faire sa toilette. Elle en ressortit vêtue d’un jean et d’un t-shirt et se dirigea vers le bureau.

Elle alluma l’ordinateur et chercha sur internet le numéro de la rédaction du journal d’Heaven, le Heaven Times. Elle s’apprêtait à composer le numéro quand elle vit qu’il y avait un site internet. Elle cliqua sur le lien et trouva rapidement la rubrique permettant de passer son annonce. Elle réfléchit un instant avant de la rédiger.

Citation :

Propriétaire d’une villa sur Milany Beach propose chambre à louer.
Loyer attractif.
Contacter Elise Tellier au 557-283-6975

Voilà qui devrait faire l’affaire. Elle valida l’opération et éteignit l’ordinateur. Elle devrait veiller à écouter régulièrement ses messages au cas où quelqu’un soit intéressé. Elle quitta le bureau et alla prendre sa guitare avant de prendre la direction de la plage.

Les jours qui suivirent la publication de son annonce, Lily les employa à meubler sa salle de musique toute neuve. Ses parents lui avaient transmis le virus de la musique dès son plus jeune âge. Si elle n’avait jamais eu les moyens auparavant de s’offrir davantage qu’une guitare sèche, elle passait le plus clair de son temps libre au conservatoire où elle pouvait pratiquer librement d’autres instruments. Mais aujourd’hui, la donne était différente et sa nouvelle fortune lui permettait le luxe d’une salle de musique digne de ce nom.

Elle avait donc pris la voiture qui se trouvait dans le garage, sa voiture à présent, pour se rendre en ville à la recherche d’un magasin de musique. Elle avait longtemps tourné en rond, connaissant mal les lieux avant de trouver son bonheur. Une après-midi entière lui avait été nécessaire pour faire son choix. Elle s’était finalement décidée pour un piano à queue noir, une harpe et un violoncelle. Il serait toujours temps de compléter la collection plus tard. Le patron de la boutique, trop heureux de la somme qu’elle venait de dépenser, lui garantit une livraison dans les plus brefs délais. En effet dès le lendemain, elle installait ses nouvelles acquisitions dans la pièce qui leur était réservée.

Elle s’attela ensuite à la décoration. Elle avait certes déjà commencé à embellir la pièce avec ses travaux de peinture, mais elle souhaitait ajouter quelques cadres sur les murs. Lors de son excursion au magasin de musique elle s’était également procuré des partitions de musique classique. Elle entreprit de les encadrer en vue de les accrocher. Elle n’avait pas l’habitude de ce type de travaux manuels et elle dû s’y reprendre plusieurs fois avant d’obtenir un encadrement satisfaisant. Loin d’être une corvée cependant, cette activité lui permit de s’occuper durant deux jours.

C’est l’après-midi du deuxième jour qu’elle vit qu’elle avait un message sur son répondeur. Quelqu’un était intéressé par la chambre. Le message disait :

Citation :

-C'est bon... Bonjour, je suis Jung-Woo Seo, un jeune coréen qui recherche une chambre. J'ai vu dans une annonce que vous en auriez une chambre à me proposer... Je voudrais savoir si vous l'aviez toujours...
Merci de me rappeler au...

Elle avait noté le numéro indiqué dans le message et avait rappelé pour tomber à son tour sur un répondeur qui, soit dit en passant, la fit sourire. C’est donc avec une note de bonne humeur dans la voix qu’elle laissa son message.

Citation :

-Bonjour, c'est Elise Tellier.
J'ai eu votre message au sujet de l'annonce. La chambre est toujours disponible. Si vous souhaitez la visiter, vous n'avez qu'à passer quand vous voulez je suis toujours chez moi en ce moment.
Voici mon adresse ...
A bientôt.

Une fois ses cadres prêts, Lily n’avait plus qu’à les accrocher. Elle trouva une perceuse sur l’établi du garage et alla dans la salle de musique. Ayant affaire à des murs porteurs, elle ne pouvait se contenter de clous. Elle marqua d’abord les différents endroits où elle souhaitait accrocher ses œuvres et se mit à l’ouvrage. Elle se trouva rapidement couverte de poussière blanche. Ses vêtements étaient piquetés de petites taches claires, et ses cheveux semblaient plus blonds qu’ils n’étaient de fait des particules de peinture et de plâtre qui s’y étaient répandues.

Une fois les trous percés, elle y mit chevilles et vis et put enfin accrocher les cadres. Elle se recula pour voir l’effet produit et fit la moue en voyant que la poussière n’avait pas non plus épargné la pièce. Elle alla ranger la perceuse et se mit en quête de l’aspirateur. Si ses souvenirs étaient bons, elle l’avait laissé à sa place initiale quand elle avait fait son grand tri dans la maison, à savoir dans le placard sous l’escalier.

Elle s’empara donc de l’engin et s’apprêtait à aller le brancher quand on sonna à la porte. C’est donc le manche de l’aspirateur dans une main, l’appareil en lui-même dans l’autre et poussiéreuse de la tête aux pieds qu’elle alla ouvrir.

-Bonjour.

Elle se trouvait face à un couple de jeunes gens d’origine asiatique qui la regardaient d’un air interrogatif. Elle-même dut s’accorder un instant de réflexion avant de comprendre qu’il s’agissait sûrement de l’auteur du message qu’elle avait reçu plus tôt.

-Oh vous venez pour la chambre ? Je ne vous attendais pas si tôt.

D’un naturel plutôt réservé, elle se sentait un peu empruntée avec son aspirateur. Elle s’empressa d’ailleurs de l’abandonner près de la porte et, après avoir essuyé ses mains sur son jean, elle tendit la droite à ses visiteurs.

-Je suis Elise Tellier. Entrez !

Constatant qu’elle se trouvait dans le passage, elle s’effaça pour leur laisser la place.

-Excusez ma tenue, j’étais en plein travaux. Vous voulez boire quelque chose ?

La visite se déroula sans évènement particulier. Après avoir offert des rafraîchissements, Lily montra la maison et surtout la chambre concernée à Jung Woo et la jeune fille qui l’accompagnait, dont elle apprit qu’elle se prénommait Minami. Les deux jeunes gens semblaient ravis et ils prirent congé après avoir convenu de la recontacter une fois la décision prise.

Tandis qu’elle faisait visiter sa demeure, Lily avait reçu un appel sur son portable. Elle n’avait décroché sur le moment, aussi consulta-t-elle son répondeur quand elle fut de nouveau seule. Maître Bardon lui expliquait qu’il manquait une signature sur un document concernant son héritage, une histoire de changement de nom de propriétaire dont elle ne comprit pas bien les détails. Toujours est-il qu’elle devait se rendre au cabinet d’avocats qui s’occupait des affaires de son grand père pour régulariser le tout. Elle décida de s’occuper de cette formalité immédiatement pour être débarrassée.

Elle alla dans le garage et s’installa au volant de la voiture dont elle avait hérité en même temps que la maison. Elle se fit la réflexion qu’elle appréciait de pouvoir conduire cette voiture de luxe dont la conduite était beaucoup plus agréable que la petite Twingo d’occasion dont elle se contentait auparavant. Après avoir vérifié sur un plan de l’île où se trouvait le quartier des affaires, elle démarra et quitta la propriété.

Le taxi s’arrêta devant la grille et après avoir réglé la course, Lily descendit de voiture. Une cliente pour Takashi avait interrompu leur déjeuner et elle avait pris congé. Finalement ça n’était pas plus mal. Sauvée par le gong disait-on. Avant de rentrer chez elle, elle était retournée dans le quartier des affaires pour rencontrer les avocats de son grand-père comme elle avait prévu de le faire avant l’accident. L’entrevue s’était déroulée sans encombre. Il s’agissait bien d’une simple signature manquante.

Sur le trajet du retour, installée sur la banquette arrière du taxi, elle avait rallumé son portable. Elle avait un message sur son répondeur.

Lily se rappelait parfaitement de la jeune femme qui accompagnait Jung-Woo. Elle avait noté le numéro pour la rappeler dès qu’elle serait arrivée chez elle.
Une fois à l’intérieur, elle déposa son sac à main sur un guéridon dans le hall et s’empara de son téléphone. Elle composa le numéro de Minami et tandis que ça sonnait, passa dans la grande salle. Sa correspondante décrocha à la troisième sonnerie.

-Bonjour, c’est Elise Tellier. J’ai eu votre message, ça avait l’air urgent…
…
-Ecoutez, je suis chez moi actuellement et je n’ai rien de prévu pour la soirée, donc si vous voulez passer maintenant…
…
-Très bien, je vous attends.

Lily raccrocha avant de jeter un œil à ses vêtements poussiéreux. Elle avait le temps de prendre une douche avant que sa visiteuse n’arrive. Elle monta rapidement à l’étage et se dirigea vers sa chambre. Elle posa son téléphone sur le lit et passa dans la salle d’eau. La jeune femme en ressortit un quart d’heure plus tard, enveloppée dans un épais peignoir blanc. Tout en essuyant ses cheveux avec une serviette elle se dirigea vers le dressing.

Elle choisit une robe légère dont la jupe lui arrivait au niveau du genou. Les tons bleus du discret motif fleuri faisaient ressortir ses yeux. Elle remonta ses cheveux encore mouillés et enfila une paire de sandales. Elle était en train de raccrocher son peignoir dans la sale d’eau quand on sonna à la porte. Ce devait être Minami.

Lily descendit dans le hall pour aller lui ouvrir. En arrivant devant la porte, elle s’aperçut qu’elle avait laissé l’aspirateur là. Elle haussa les épaules. Tant pis. Elle ouvrit à sa visiteuse et l’accueillit en souriant.

-Bonjour. Entrez je vous en prie.

Lily referma la porte derrière Minami et la conduisit sur la terrasse où elles s’installèrent dans les fauteuils de jardin.

-Alors qu’est-ce que vous aviez à me demander ?

Lily ne s’attendait pas à ça. En fait elle ne savait pas vraiment à quoi elle s’était attendue. Elle sourit avant de répondre.

-Ça ne me pose pas de problème. Quant à l’argent, ce n’est pas un souci. Pour tout vous dire, ce n’est pas le loyer qui m’intéresse mais la compagnie. Cette maison est bien trop grande pour moi toute seule.

Elle se tut un instant mais bien vite, sa curiosité la poussa à demander.

-Je peux vous demander les raisons de ce changement ? Si besoin j’ai une deuxième chambre de libre.

Ce brusque revirement l’intriguait. Quand ils étaient venus visiter le matin même il lui avait semblé qu’ils avaient trouvé la maison à leur goût. La cause devait être ailleurs.

Le sourire un instant évanoui revint sur les lèvres de Lily.

-Quand vous le souhaiterez. Attendez-moi un instant, je reviens.

Elle s’était levée en faisant signe à Minami de rester assise. Elle s’engouffra à l’intérieur et monta rapidement à l’étage. La jeune femme se dirigea vers le bureau et prit un trousseau de clefs dans un tiroir. Elle revint sur la terrasse où elle rejoignit son invitée. Elle lui tendit le trousseau en expliquant.

-Tenez, c’est pour vous. Il y a la clef du portail, de la porte d’entrée et du garage.
-Merci beaucoup…
-Si vous devez habiter ici, même par épisode, peut- être pourrions nous nous tutoyer ?

Une lueur d’amusement passa dans son regard. Cela faisait deux fois dans la même journée qu’elle posait cette question.

Lily fut légèrement désarçonnée par l’attitude directe de Minami. Elle lui avait semblée plus distante au début de leur conversation et d’un seul coup se montrait plus familière. Cela ne dérangeait nullement la jeune femme mais elle en fut un instant surprise. Elle n’en laissa rien paraître néanmoins et répondit avec un grand sourire.

-Avec plaisir… Comment es-tu venue ?
-En taxi.
-Je vais en appeler un autre alors. Je n’ai plus de voiture depuis ce matin. Après votre visite avec Jung-Woo, j’ai eu un petit accident.

Lily retourna à l’intérieur suivie de Minami et se dirigea vers le téléphone. Elle composa le numéro d’une compagnie de taxi, et indiqua son adresse. Tandis qu’elles attendaient le véhicule qui devait les emmener, la journaliste lui parla un peu de ses futurs pensionnaires.

-J’ai rencontré Tanya en France pendant mes études. Tu verras, elle très expressive et très souriante. Elle a un don pour prendre la vie du bon côté. Avec Mikhaïl, ils se sont rencontrés en Russie alors que Tanya rentrait voir son père malade.
-Mon père avait de la famille à St Petersburg je crois. Mais je ne les connais pas. Je n’ai vu un de leurs représentants qu’une seule fois…

Lily se tut. Il était inutile de préciser que c’était lors de l’enterrement de ses parents 6 ans plus tôt. Un coup de klaxon interrompit ses réflexions. Le taxi les attendait devant la grille. Elles allèrent s’installer toutes deux à l’arrière et Minami indiqua leur destination au chauffeur.

Lily descendit du nième taxi de la journée, suivie de Mikhaïl. Ils s’étaient chamaillés pour savoir qui paierait le chauffeur et elle avait eu gain de cause. Elle s’était donc acquittée du prix de la course. Le taxi avait mis les warnings, leur permettant ainsi de décharger les bagages du couple. Ils étaient en train de les porter devant la grille quand une luxueuse voiture noire arriva à leur hauteur. Le conducteur du véhicule fit un écart si peu important pour les dépasser, qu’il contraignit Lily à se plaquer contre le taxi pour ne pas être renversée. Elle le suivit du regard un instant tandis qu’il disparaissait derrière la grille d’une propriété un peu plus loin.

Lily reporta alors son attention sur les bagages et oublia aussi vite le conducteur sans gêne. Mikhaïl ferma le coffre du taxi et celui-ci redémarra, les laissant devant la villa de Lily. Elle sortit ses clefs pour ouvrir la grille et s’engagea dans l’allée suivie de Mikhaïl.

- J’ai un double des clefs à l’intérieur, je vous le donnerai. Comme ça vous pourrez aller et venir à votre guise.
- C’est gentil, merci. Tu me diras combien te verse Minami pour le loyer, je n’ai pas l’intention de la laisser tout payer ainsi.

Lily se retourna un sourire sur les lèvres.

- Pour tout te dire, nous n’avons encore rien fixé et je n’ai pas l’intention de lui rappeler.

Devant l’air étonné de son compagnon, elle ajouta.

- Je n’ai pas besoin de cet argent, j’en ai déjà trop pour savoir qu’en faire et il en va de même pour les dix générations qui suivront. J’avais passé cette annonce dans le seul but d’avoir une présence dans la maison. Elle est bien trop grande pour moi toute seule.
- Il est hors de question que tu nous héberges gracieusement…
- C’est pourtant ce qui va se passer. Si vous tenez tant que ça à me rémunérer, vous n’aurez qu’à participer aux taches ménagères et on sera quitte.

Ils étaient arrivés devant la porte d’entrée et Lily l’invita à l’intérieur. Elle déposa les sacs dont elle s’était chargée dans l’entrée et reprit la parole.

- Tu n’as qu’à tout laisser ici pour le moment, je vais te faire visiter comme ça tu pourras commencer de t’installer en attendant que Minami et Tanya nous rejoigne.

Il s’exécuta et la suivit tandis qu’elle lui montrait les différentes pièces du rez-de-chaussée ainsi que la terrasse. Ils montèrent ensuite à l’étage où elle lui indiqua sa propre chambre et le bureau avant de lui faire visiter les deux chambres disponibles, chacune munie comme la sienne d’une vaste salle d’eau et d’un dressing.

- Je te conseille celle qui donne sur le balcon, elle est plus spacieuse et plus lumineuse. Mais peut-être veux-tu attendre Tanya pour décider ?
- Non je pense qu’elle sera de ton avis et préfèrera celle avec le balcon.
- Si jamais ce n’est pas le cas il sera toujours temps de changer.

Lily s’apprêtait à redescendre quand Mikhaïl l’arrêta.

- Et la pièce là-bas ? Qu’est-ce que c’est ?

Durant la visite, Lily avait volontairement omis de lui montrer ce qui était à son arrivée la quatrième chambre. A la question de Mikhaïl, son visage s’assombrit.

- C’est rien… Je vous demanderai de ne pas y aller.

Elle avait répondu un peu sèchement. Elle se dirigea vers un des escaliers et regagna le hall d’entrée. Quand elle se tourna de nouveau vers Mikhaïl, elle avait retrouvé le sourire.

- Bon, je vais te laisser t’installer. Si tu as besoin de quelque chose, je serai dans la salle de musique.

Joignant le geste à la parole, elle se dirigea vers la dite pièce. Elle devait encore y passer l’aspirateur après ses travaux de la matinée. Elle s’empara donc de l’appareil qu’elle y avait déposé et se mit au travail. Elle eut vite terminé et après avoir rangé l’aspirateur, revint dans la pièce pour s’installer au piano.

Dès les premières notes, Lily se métamorphosa. Tandis que ses doigts couraient avec virtuosité sur les touches noires et blanches, elle se laissa envahir par la musique, improvisant la mélodie au fur et à mesure. La journée avait été chargée en émotions. Entre son accident en fin de matinée et l’arrivée de ses pensionnaires, elle n’avait pas vraiment eu le temps de se poser. Et là, dans sa communion avec son instrument, elle vidait son esprit. Plus rien ne comptait que les notes qui s’envolaient les unes après les autres.

Mais la musique n’était pas seulement un exutoire. Quand elle jouait, Lily abandonnait le masque de bonne humeur qu’elle avait pris l’habitude d’arborer. Elle laissait tomber les barrières qu’elle avait construites autour d’elle et s’autorisait pendant un court moment à être véritablement heureuse.

La dernière note s’éteignit, le silence revint… et le masque avec. Elle venait de s’apercevoir de la présence de Mikhaïl. Elle ne l’avait pas entendu entrer et ne savait pas depuis combien de temps il était là. Elle attendit qu’il prenne la parole, ce qu’il ne tarda pas à faire.

- Tu joues bien.

Il s’était approché et prit place à côté d’elle sur le banc.

- Tu permets ?

Avant que Lily ne réponde, il avait déjà posé ses mains sur le clavier et enfoncé quelques touches. La jeune femme le laissa commencer et dès qu’elle eut enregistré les premières mesures, elle se joignit à lui pour un morceau à quatre mains digne des plus grands compositeurs. Lily avait l’impression qu’ils jouaient ensemble depuis des années et que chacun savait exactement quelle impulsion l’autre allait donner au morceau. Peu à peu, l’image de Mikhaïl s’effaça, remplacée par celle d’un autre homme. Les larmes affluèrent et Lily cessa de jouer. Mikhaïl s’arrêta à son tour et se tourna vers elle. Voyant ses larmes, il posa sa main gauche sur l’épaule de la jeune femme.

- Quelque chose ne va pas ? Tu n'aimes peut-être pas ma façon de jouer... ? Ou alors, cette mélodie...

Lily secoua la tête et s’essuya les yeux.

- Non, non. Ça n’a rien à voir avec toi…

Elle déglutit avant de poursuivre.

- C’est juste que la dernière fois que j’ai joué ainsi, c’était avec mon père…
- Oh... Il est... ?
- Ça fait 6 ans que mes parents sont morts. C’est mon père qui m’a appris à jouer.
- Je suis désolé, je n'aurais pas dû...

Il s’apprêtait à se lever mais elle le retint.

- Non ce n’est rien, tu ne pouvais pas savoir.

Après un instant, elle ajouta.

- Reprenons si tu veux.

Elle esquissa un sourire avant de se remettre à caresser les touches.

Après avoir joué un nouveau morceau avec Mikhaïl, Lily lui avait proposé de prendre un verre sur la terrasse. Ils avaient parlé musique pendant une bonne demi-heure avant que Mikhaïl déclare qu’il allait terminer de défaire leurs bagages à Tanya et lui. Il plaisanta sur le fait qu’il aurait bien aimé qu’elle arrive pour l’y aider mais que visiblement elle attendait qu’il ait fini pour ça.

Tandis qu’il montait à l’étage, Lily gagna la cuisine pour y rincer leurs verres. C’est alors qu’elle s’essuyait les mains qu’on frappa à la porte. Ce devait être Minami et Tanya. Elles n’avaient pas dû oser entrer. Lily posa le torchon qu’elle tenait et alla ouvrir. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver nez à nez avec… Gabriel !

Que venait-il faire ici ? Il ne la reconnut pas immédiatement et lui indiqua que c’était son grand-père qu’il souhaitait voir. Evidemment lui et ses parents ne devaient pas être au courant de son décès. Mais que lui voulait-il ? Connaissant les affaires qui liaient autrefois son grand-père et les Gilbert, elle supposa que c’était une histoire d’argent. Peut-être son aïeul n’avait-il pas honoré son contrat et oublié de payer la famille d’accueil pour les dernières vacances que Lily avait passées chez eux. Non ça n’avait pas de sens. Pourquoi venir réclamer cet argent trois ans plus tard ?

La jeune femme conduisit son invité surprise au salon et écouta son histoire. Elle ne savait pas encore si elle devait ou non se réjouir de ces retrouvailles. D’ailleurs elle avait plutôt tendance à pencher vers le non. Plus elle l’écoutait, plus elle trouvait sa venue plus qu’étrange. Qu’est-ce que c’était que cette histoire de lettre ? Ça sentait le prétexte bidon à plein nez. Mais dans ce cas elle en revenait à sa première question. Que venait-il faire ici ?

Visiblement il n’avait nulle part où loger et Lily ne pouvait décemment pas le mettre dehors. Même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Elle l’aurait sans doute accueilli plus volontiers s’il lui avait dit la vérité. Et elle était persuadée que ce n’était pas le cas.

- Ça ne fait pas suffisamment longtemps que je suis sur l’île. Mais tu n’as qu’à rester ici le temps de ton séjour. Je suppose que je te dois bien ça. Tu m’as dit que tu repartais quand en France ?

En attendant sa réponse, elle réfléchit où elle allait le mettre. Tanya et Mikhaïl occupaient une chambre et elle avait promis à Minami de lui garder la troisième disponible. Quant à la dernière, c’était hors de question. Restait le bureau. Il y avait un lit pliant dans le grenier, il suffirait de le descendre. Ça irait bien pour quelques jours.

- Merci pour ton hospitalité mais tu ne dois rien à personne. J'accepte le temps de me loger. Sinon je ne retournerai pas en France avant un bon moment. Plus rien ne m'y attend là-bas.
- Bien. Je suis désolée, mais je n’ai qu’un lit pliant dans le bureau à te proposer. Les autres chambres sont déjà occupées.

Elle se tut un instant, mais ne résista pas à l’envie d’éclaircir les choses et reprit.

- Ça me paraît étrange cette histoire de lettre. Ça fait trois ans maintenant que je ne viens plus en vacances chez vous. Pourquoi tes parents auraient-ils laissé une lettre pour mon grand-père ? Et puis que je sache ils ne devaient pas savoir qu’ils allaient mourir. Y a un truc qui m’échappe là.
- C'est un avocat qui m'a contacté. Moi je n'en sais pas plus et je ne veux rien savoir. Ton grand-père payait mes parents pour te garder en vacances et c'est tout ce que je sais.
- Mouais…

Lily n’était pas du tout convaincue. Visiblement, il en savait beaucoup plus qu’il ne voulait bien le dire. Enfin, elle n’avait pas envie de remuer tous ces souvenirs. Elle allait se contenter de l’héberger le temps qu’il trouve un logement et un travail et ferait tout pour que ça se fasse au plus vite.

- Suis-moi, je vais te montrer où est le bureau.

Elle se leva et le guida à l’étage. Par la porte ouverte, elle vit Mikhaïl qui s’affairait à vider les valises pour remplir le dressing. Lily lui adressa un sourire avant de reporter son attention sur Gabriel.

- Voilà c’est ici. J’irai te chercher le lit pliant tout à l’heure. En attendant fait comme chez toi.

Elle tourna les talons et s’apprêta à redescendre.