Heaven Park

Max mit pied à terre à l’entrée d’Heaven Park. Elle fixa l’antivol de son vélo sur les porte-vélos disposés à cet effet et franchit la grille en trottinant. Dans ses oreilles, les écouteurs diffusaient un rythme pop. Elle avait toujours aimé le footing. Déjà plus jeune, elle se rendait au lycée en courant.

Au détour des allées, elle s’amuser à observer les passants. Malgré l’heure matinale, il y avait déjà du monde dans le parc. Beaucoup de jogger comme elle, mais aussi des petits vieux qui venaient tromper leur solitude en s’asseyant sur un banc. Des mères observaient leurs enfants s’ébrouer dans l’herbe. Bref le beau temps semblait insuffler sa bonne humeur au parc tout entier.

Tandis qu’elle progressait dans les allées au rythme régulier de ses foulées, elle vit arriver en face un autre jogger. Le nième qu’elle croisait depuis qu’elle était arrivée. L’homme d’une trentaine d’années semblait un habitué du jogging. Alors qu’il arrivait à la hauteur de Max, il trébucha sur une pierre. Pour éviter de s’écraser sur le sol, il eut le réflex d’agripper le bras de la jeune femme qui était justement à sa portée, manquant l’entrainer dans sa chute.

Heureusement pour elle, Max avait de bons réflex et elle parvint à le retenir. Quand il eut retrouvé son équilibre, elle ne put s’empêcher de sourire, amusée.

- Eh bien ! En voilà une façon d’aborder une inconnue ! Vous ne vous êtes pas fait mal au moins ?

D’émotion, il en avait oublié de lâcher son bras. Elle le désigna du menton.

-Je peux le récupérer ?

Max s’amusa de l’expression de poisson rouge de l’homme quand il leva les yeux vers elle. Il bafouilla quelques excuses, gêné et s’apprêta à poursuivre son chemin. Tandis qu’il s’éloignait en trottinant, Max se baissa pour ramasser un objet au sol. Il ne s’était même pas aperçu que son portefeuille était tombé. Curieuse comme pas deux, elle l’ouvrit. A l’intérieur, son permis de conduire indiquait qu’il se nommait Alessandro Liora. Original.

Il était encore à portée de voix. Elle appela.

-Alessandro ?

Surpris d’entendre son nom il s’arrêta et se retourna. Avec un grand sourire, elle leva le portefeuille pour qu’il puisse le voir et le secoua légèrement. Elle attendit dans cette position qu’il revienne vers elle et quand il fut suffisamment près, elle le lui tendit.

-Décidément ! Je vous tire deux fois d’affaire en même pas une minute.

Il avait l’air de ne pas savoir où se mettre, tandis que Max, elle, était parfaitement maîtresse de la situation, malgré les regards amusés des passants.

-Je ne sais pas comment vous remercier…

Elle ne le laissa pas finir et enchaina sans se départir de son sourire.

-Moi j’ai une idée. Offrez-moi un verre.

Son assurance ne laissait pas de place à la discussion, il n’avait pas d’autre choix que de l’inviter.

Max but quelques gorgées au goulot de sa propre bouteille avant de répondre.

-Je m’appelle Max.

Devant son air surpris elle ajouta.

-Je sais, ce n’est pas très féminin. C’est le diminutif de Maxine. Mais essayez donc de m’appeler comme ça et vous allez comprendre ce que le mot souffrir veut dire…

Elle avait dit ça sur le ton de la plaisanterie bien entendu, et affichait toujours le même sourire, sûre d’elle. Une nouvelle fois poussée par la curiosité elle l’interrogea à son tour.

-C’est de quelle origine Alessandro ?

Il semblait mal à l’aise et elle avait bien l’intention de le dérider. En y regardant bien il était plutôt pas mal et ne verrait aucun inconvénient à en faire son quatre-heure.

Max s’amusait comme une folle. D’autant que la timidité excessive de son interlocuteur ne manquait pas de charme. Du coup, elle prenait un malin plaisir à le déstabiliser. Tandis qu’elle le questionnait sur sa profession, elle le fixait de ses yeux verts, le déshabillant du regard. Lui osait à peine la regarder et bien que son visage ne trahisse pas son émotion en rougissant, elle n’avait aucune peine à la deviner.

-En psychiatrie ? Ça ne doit pas être toujours de tout repos.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaina sur un autre sujet.

-J’ai toujours entendu dire que les italiens étaient des dragueurs invétérés. Vous failliez à votre réputation. Vous êtes marié ?

Elle posait les questions comme elles lui venaient, sans se soucier une seconde d’être indiscrète ou de mettre Alessandro un peu plus dans l’embarras. Il lui restait plusieurs heures avant son entretien et elle comptait bien les mettre à profit pour faire plus ample connaissance. Il lui était sympathique.

Tandis qu’il commençait à nouveau à s’éloigner, elle jeta sa propre bouteille vide dans la poubelle et s’élança à sa suite. Elle le dépassa pour venir se poster devant lui et marcha à reculons.

-Hep ! Hep ! Hep ! Vous n’allez quand même pas déjà vous sauver ?

Elle conservait son assurance. Elle savait qu’il ne saurait pas dire non à l’assaut de son sourire.

-Vous savez, c’est très mauvais de rester tout le temps tout seul et de se perdre dans le travail. Faut savoir s’amuser un peu.

Il essayait vainement de la contourner, mais elle restait obstinément sur son chemin. Elle se pencha en avant pour se rapprocher et posa une main sur l’épaule d’Alessandro.

-Tenez j’ai une idée. Vous choisissez l’endroit et je vous invite à déjeuner.

Elle s’empressa d’ajouter avec une moue enfantine.

-Bon pas trop cher hein ! Parce que je suis pas Crésus non plus...

Son visage s’éclaira à nouveau d’un sourire.

-Mieux ! Vous venez manger chez moi, comme ça je suis sûre que c’est dans mes moyens.

Comme il s’apprêtait à décliner l’invitation elle leva un index devant ses yeux.

-Th ! Vous avez pas le droit de refuser. Ça vous changera les idées dites pas le contraire. Et puis vous me devez bien ça. Après promis je vous laisse tranquille. De toute façon bien obligée, j’ai mon entretien d’embauche.

Il s’était arrêté de marcher, vaincu. Elle se campa devant lui bras croisés, l’air satisfait, attendant sa réponse à coup sûr positive.

Max jubilait, elle avait gagné. Le temps d’un instant, elle affichait la mine satisfaite d’une enfant gâtée qui vient de parvenir à se faire offrir un nouveau jouet. Elle prit la direction de l’entrée du parc par où elle était arrivée et il la suivit en silence.

-Vous en faites une tête ! On dirait que vous allez à l’abattoir. Je ne mords pas vous savez.

Elle ajouta avec un clin d’œil malicieux.

-Enfin… jamais le premier soir…

Elle éclata de rire devant la mine déconfite d’Alessandro. Entre temps, ils étaient arrivés à la grille. Elle s’approcha de son vélo et s’accroupit avec souplesse pour décrocher l’antivol. Ils prirent alors la direction du Bronx, Alessandro ayant pris soin de maintenir le vélo entre eux. Durant le trajet, Max, intarissable continua de l’interroger sur son métier puisque c’était le sujet sur lequel il était le plus bavard.