Sur le Fenua

ambiance :
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C’est une île bordée de bleu, une île bénie des Dieux, où j’ai fait mes premiers vœux…
Le ciel, la terre se marient, chaque jour, chaque nuit, ainsi, va la vie…


En frappant à la porte du fare, les trois hommes, habillés bien trop chaudement pour la région, entendirent une voix légère qui chantonnait incroyablement faux.

Qui est là ?

La voix si douce s’éleva de l’intérieur du fare.
Cette vois les ramenait tous plus à 8 ou 9 ans auparavant, quand ils formaient tous une équipe, la meilleure qu'il soit.
Une femme d’une trentaine d’années apparut à la porte, un sourire radieux aux lèvres. Celui-ci s’effaça instantanément de son visage. Toute la beauté de son regard disparut avec. La métamorphose était radicale. Un voile de tristesse se forma. On aurait dit que ses cheveux, pourtant si voyants, perdaient même leur éclat rose.
Elle fixa les visiteurs au pas de sa porte. Déverrouillant la moustiquaire, sans pour autant leur ouvrir directement, elle fit demi tour.
Les trois hommes entrèrent sans un mot, la mine sombre. Ils étaient dans une petite cuisine, telle qu’on les concevait cinquante ans plus tôt. Ici tout avait cinquante ans de retard.
Elle était devant une bouilloire tendance, rose pastel. Étrange contraste avec le décors global, que les objets qu’elle avait. Toutes les nouveautés étaient roses, rouges ou violettes.
Elle posa trois tasses sur un plateau, représentant une carte des îles sous le vent, du sucre, les cuillères à café et le pot de café soluble.

Désolée, ici on a pas de café frais.
Pas grave.

Aucun des trois hommes ne savaient que dire vraiment.

Bon alors ? Annoncez ? Elle veut quoi ?
Ton retour.
C’te blague. Non sérieusement.
Ton retour.
Ainsi la cheffe toute puissante a besoin de moi.
Oui.
Non mais attendez vous vous foutez de moi… Elle m’a foutu à la porte… Elle NOUS a foutu à la porte avec Danny et … et puis il y a mon fils !
Notre très chère mère est en vie. Et elle a tenté de tuer Lu. Lu reprend les affaires en mains. Quant à TON fils… Tu peux toujours l’emmener si tu le souhaites, ce ne sont pas nos affaires, enfin celle de Lu. Elle a d’autres chats à fouetter qu’un moufflet.
Paolo !

Snivi s’était levé. L’aggression de Paolo choquait tant Snivi que Dany.

Tu abuses. C’est dur. Dora, écoutes, on va faire de gros coups, on a besoin de toi. Vraiment. Tu la connais… entêtée, bornée, jalouse, tout ce que tu veux, mais elle sait reconnaître quand elle a besoin d’aide. Et elle te veut.
Et moi ? Ce que je veux ? J’ai mon mot à dire ? ça va aller ?
Cogites un peu, triple idiote… Ma tarée de mère traîne dans le coin… Elle t’a sur sa liste, te berces pas d’illusion. Alors si tu penses à ton mioche, tu ferais mieux de nous suivre.
Tu vas trop loin Paolo… Dan…

Voyant que Paolo perdait la tête, Snivi prit les choses en main. Il le fit sortir avec Danny.

Tu lui as fait quoi à Pao pour qu’il soit dans cet état ? il était fou dans l’avion !
Moi ? rien… par contre, lui… Bref, laisses tomber.
C’est vrai pour la mère ?
Ouai… Tu aurais vu l’état de Lu quand on l’a retrouvé… Elle faisait peur.
Et elle en est où avec Dan ?
Comment ça avec Dan ? Ben, elle a pas dit grand-chose en le voyant. On s’était dit qu’elle allait faire une crise mais non.
Ils le sont toujours ou pas ?
Toujours quoi ?
Ben… Mariés !

Snivi lacha la tasse, renversant son contenu sur ses genoux.

Bon Dieu ! Attend, ils sont mariés ? Mais depuis quand ?
Depuis 8 ans déjà mon grand. Et séparés il y a 6 ans…
quand elle l’a viré ? Mais… Mais pourquoi ? et pourquoi ils se sont … enfin…
Elle a cru qu’il était le père de mon fils. Elle a tout plaqué ce jour là. La goutte d’eau qui a fait débordé le vase. Tu la connais aussi bien que moi de toute façon... quand elle a une idée en tête... J'ai eu beau lui assurer que non...
M’enfin… Et c’est…
Non, c’est pas lui.
Je m’en fiche au final, tout ce que je veux, c’est que tu viennes. Voilà de quoi venir.

Snivi tendit des papiers.

Tu dois demander ta mutation sur Heaven. On te laisse choisir. Procureur ou juge, on a de quoi de faire passer. On t’attend dans trois jours. Comme tu es propriétaire de la maison, laisses y tes affaires. Un popa viendra prendre les choses les moins urgentes. J’ai engagé un timitao pour garder ta maison. On évite ceux du Fenua. Ils aiment bien fouiller, sont trop curieux.
Y a rien à trouver chez moi de toute façon.
On t’attend dans trois jours.
Vous allez où ?
On rentre à heaven. On doit trouver une planque, une maison, et je vais parler à Lu de son mariage aussi !

Snivi fit un clin d’œil à Dora et sortit.

Allez les gars on y va. Et Paolo, tu es prié, pour les heures de voyage qu’il nous reste de rentrer tes crocs !

Dora resta fichée devant la porte.
Elle se souvenait de la joyeuse bande qu’ils formaient il y a déjà tant d’années. Et elle repensa à sa nouvelle vie en Polynésie. Cette terre, ces gens, leur gentillesse.
Elle y avait vécu les heures les plus paisibles.

Un dernier regard en arrière.
Jamais je n’oublierais cette terre, le plaisir de te voir, et la peine de te dire au revoir…

Finalement, cette chanson avait été prémonitoire. Dora s’en retourna et prépara les bagages. Son choix était fait.





petit lexique :

fare : maison traditionnelle en Polynésie.
Popa : homme blanc en polynésien
Timitao : chinois en polynésien.
Fenua : terre en polynésien. Signifie l’île sur laquelle on se trouve, ou Tahiti aussi, selon le contexte.



ps : Merci Axelle d'avoir fait en sorte que je puisse faire partager un peu la musique tahitienne!